LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP

Genre très populaire en Italie dès la fin des années 1920, le giallo (jaune comme la couleur des couvertures des romans policiers édités par la maison MONDADORI) a mis du temps à envahir les salles de cinéma. LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP de MARIO BAVA peut-être considéré comme la première tentative de transposition de ce genre littéraire au septième art.

Le scénario peine à affirmer son caractère, le tueur est relégué au second plan, les meurtres ne frappent pas par leur inventivité, mais un vent de nouveauté est perceptible. On sent que Bava a envie de s'affranchir des codes du film policier classique. Et il y parvient parfois, à l'instar de la plus grande séquence du long-métrage, judicieusement placée dans la première bobine.

Tournée sur l'Escalier de la Trinité-des-Monts à Rome, splendide ensemble architectural de marches imprégné de romantisme, elle dégage une étrangeté et un parfum d'angoisse envoûtants. Brillamment mise en image (les flous artistiques et les éclairages baroques renforcent l'aspect insaisissable de l'action, aux confins du cinéma fantastique), elle servira de référence pour les gialli à venir, notamment ceux qui feront la gloire de DARIO ARGENTO au début des années 70.

Témoin d'un meurtre qui lance un défi à sa mémoire (déstabilisée par une cigarette à la marihuana fumée par erreur dans l'aéroport) et à sa compréhension, la jeune NORA DAVIS va vivre une expérience traumatisante. Courageuse, persévérante, peu encline à suivre les conseils de la police et prête à mettre sa vie en danger pour débrouiller l'énigme qui se présente sous ses yeux, elle est l'archétype du personnage central de giallo.

Incarnée par la jolie LETITIA ROMAN, un peu juste dramatiquement parlant (la scène où elle mime le crime auquel elle a assisté sonne faux), Nora ne va pas rencontrer que l'effroi dans cette aventure. Non, elle va aussi trouver l'amour. On ne va pas se mentir, les balades romantiques de Nora (accompagnée du bellâtre MARCELLO BASSI, interprété par JOHN SAXON) n'ont rien de renversant. Elles n'ont qu'un seul intérêt : nous offrir une petite visite guidée des monuments de Rome (de La Terrasse du Pincio à la Place Mincio) en attendant que le scénario se recentre sur le nerf de la guerre, l'énigme criminelle.

Hélas, ce dernier ne parvient jamais à se montrer aussi rigoureux que la mise en scène et la photo. Bric-à-brac mêlant romantisme, rebondissements téléphonés, terreurs féminines, humour et révélation finale improbable (les motivations de l'assassin sont peu convaincantes), il souffre d'un aspect décousu qui ralentit le rythme et nous fait perdre de vue les enjeux dramatiques du départ.

L'usage intempestif de la voix off est un aveu d'impuissance. Si le scénario avait été mieux maîtrisé (et la direction d'acteurs un peu plus travaillée), la production n'aurait pas eu besoin de faire appel à ce procédé qui décrit scolairement les actions et les sentiments des personnages.

Hybride et inégal, La Fille qui en savait trop n'en demeure pas moins un film important d'un point de vue historique. Important, car il peut être considéré comme la première tentative de giallo de l'Histoire du cinéma. Tout n'est pas encore en place, le mélange épouvante/policier est moyennement harmonieux, mais le long-métrage augure de choses passionnantes pour le futur. 

SIX FEMMES POUR L'ASSASSIN du même Mario Bava corrigera le tir quelques mois plus tard et scellera à jamais les bases du genre.

★★★☆☆